“Tous les livres ont une histoire. Et la vie d’un livre est toujours un roman. Celui que vous tenez entre les mains ne fait pas exception à la règle.

Peter Wyss, l’une des personnes les plus secrètes qu’il m’ait été donné de rencontrer, m’a photographiée, un matin d’hiver 1972, entre 8h15 et 8h30. Il faisait très froid, je pleurais. J’habitais ce qui avait été le salon de maquillage de Mistinguett sur la terrasse du Moulin Rouge. Je savais sans savoir que je me trouvais au genre de moment crucial qu’on reconnaît comme tel longtemps après l’avoir traversé.

Quelques mois plus tard, le lendemain, Peter m’a remis un petit livre noir, confectionné par ses soins, qui contenait les photographies qu’il avait prises de ce que le recul du temps m’a permis d’appeler une croisée des chemins. Cet objet, je l’ai gardé avec moi pendant des années. Il m’a suivie, non, il m’a accompagnée en silence dans toutes mes pérégrinations. Il était là, à portée de main (je ne l’ouvrais jamais), dans tous mes voyages, partout où j’ai vécu.

Pour quelle raison ce livre, qui n’en était pas encore un, ne me quittait-il pas ?

Aujourd’hui, je crois avoir compris : justement, pour donner le jour à Une femme sans fin s’enfuit, et accorder à cet instant de ma vie où j’ai cessé d’être pour devenir, sa destinée véritable, fatale en un sens.

Mais pour cela, il fallait que le hasard fasse bien les choses. Ça lui arrive, parfois…

Je connais Mathieu Terence depuis des années. Je lui ai montré l’objet de compagnie sans avoir conscience de ce que je tramais en réalité. J’aimais ses écrits, je lui faisais confiance. Je ne me doutais pas de ce qu’il allait faire de ce que je lui donnais à voir là, dans un café de Montparnasse. Le pressentiment est un mystère auquel j’ai souvent à faire dans ma vie. Cette fois encore, et si bien, il a joué sa partie. Mathieu a mis des mots sur ce que je n’aurais su mieux dire. Il a eu, à sa manière, l’intuition parfaite de ce que ces photographies signifient pour moi, mais grâce à sa poésie, il l’a ouvert aux autres, à tous et à toutes.

Alors la boucle se boucle, et, avec Marie Sepchat, l’objet dans les limbes devient le livre qu’il était depuis le premier instant. Au fond, d’alors à aujourd’hui, et pour le meilleur, il ne se sera rien passé d’autre que la vie elle-même.”

Aurore Clément

 

Photographies : Peter Wyss
Texte : Mathieu Terence
Design : Studio Des Signes